La Mère à l’Enfant
... Viens prés de moi, tout prés de moi, plus prés encore,
O cher petit enfant brillant comme l’aurore,
Lendemain de ce soir que moi-même Je suis...
Cesse tes jeux un seul instant, viens et souris,
Sans comprendre pourquoi je veux te voire sourire,
Tourne vers moi tes yeux qui ne savent pas lire
Et ne t’ont pas laissé voir encore la Douleur...
Ouvre tes yeux tout grands ; ouvre moi tout ton cœur
Eclos en ce matin, comme une fleur limpide,
Où nulle abeille d’or aux caresses avides
N’a pu plonger encor son dard froid et moqueur...
Sois heureux : Cette fleur et toi vous êtes jeunes
Et vous resplendissez tous deux sous le soleil ;
Moi je suis le rosier, toi la rose : et - pareils-
Lui, sur la rose étend l’ombrage de ses feuilles,
Et moi, j’étends sur toi l’ombre de mes cheveux...
Hélas ! un jour viendra, un jour lointain sans doute,
Où tu me quitteras pour prendre une autre route ;
Où la fleur détachée de l’arbre, en une main
Que l’arbre ignorera toujours, sur un chemin
Nouveau, vers d’autres lieux suivra sa destinée...
Je sais : Je serai lasse et âme brisée ;
Et, tandis que - riant à la vie qui t’appelle-
Tu fonderas encore une maison nouvelle,
Je pleurerai sur ma maison abandonnée...
Je sais... Mais je suis folle en pensant à ces choses
Parce que dans ton cœur l’amour s’éveillera...
Oh ! jalousie de Mère, et que seul comprendra
Le cœur qui, tel le mien, entièrement se donne
Au tout petit Enfant où renaît et frisonne
La vie de notre corps qui lentement ;...
Cet Enfant, notre rêve admirable et certain,
Graine qu’un coup de vent dépose un beau matin
Afin que, de la tige où les roses se meurent,
Le parfum éternel de la Rose demeure
En la nouvelle fleur qui s’ouvrira demain...
Journal des roses
novembre 1910