La Rose et le buisson

Une Rose croissait à l’abri d’un buisson,
 Et cette Rose un peu coquette,
 N’aimait point son humble retraite ;
 C’était même, à l’entendre, une horrible prison.
 Son gardien lui disait : « patience, ma chère,
 « Profite de mon ombre, elle t’est salutaire ;
 « C’est elle du Midi qui t’épargne les feux ;
 « Grâce à mes dards épineux,
 « Des insectes rongeurs tu ne craint point l’outrage ;
 « je te défends encor des vents et de l’orage ;
 « Chéris donc ton asyle obscur :
 « Il n’est pas beau, mais il est sûr. »
 La Rose est indignée, elle n’en veut rien croire :
 « Vivre ainsi, c’est vieillir sans gloire... »
 Un bûcheron paraît : -« Accours, dit-elle, ami,
 « Sois mon libérateur, fais tomber sous ta hache
 Le manant empressé n’en fait pas demi,
 Il abat le buisson. Partant plus de tutelle.
 La Rose de s’en réjouir ;
 Elle va donc s’épanouir,
 Charmer tous les regards, attirer autour d’elle
 Le folâtre essaim des zéphirs...
 Rose, on va l’appeler des Roses la plus belle...
 O fortuné destin ! ô comble de plaisirs ! !...
 Tandis que la jeune orgueilleuse
 Rêve ainsi le bonheur et rit d’enchantement,
 Voilà qu’une chenille hideuse
 A découvert sa tige, y grimpe lentement
 Et sur son bouton frais se traîne insolemment.
 Un escargot plus vif encore
 Vient souiller ses appâts naissants ;
 Le soleil à son tour, de ses rayons brûlants,
 La frappe : elle se décolore.
 Dans le chagrin qui la dévore
 Elle songe au buisson ; mais regrets supeflus !
 Ce doux abri n’éxiste plus.
 Qu’arriva-t-il ? La Rose
 Se fane, tombe, meurt, hélas ! à peine éclose .

 N’oubliez pas cette leçon,
 Innocentes beautés, orgueil de vos familles :
 Vos mamans, voilà le buisson ;
 Croissez toujours à l’ombre ou gare... les chenilles.

 

 A. De Chesnel (La Rose, Paris, 1838)

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