A ma Mère
Je t’écris...C’est un jour de ce premier printemps
Où ta robe à travers le gazon embaumé
Ne doit plus imprimer son sillage mouvant.
Tu n’es pas là ; ta place est vide sur ce banc,
Et mon regard, tourné encore vers l’allée,
Ne voit plus sur le sable tiède et ruisselant
La trace de tes pas à jamais effacée...
O ma Mère ! Faut-il qu’un jour je vienne seul
En ce jardin, parmi ces buis, parmi ces roses,
Et que je cherche en vain, à travers tant de choses,
Tes yeux dont le sourire était tout mon accueil ?...
Tout est là : Toutes ces choses insaisissables
Qui vivaient de ta vie et ne parlent que de toi ;
Ce parfum qu’une fleur au bord de notre table
Par un printemps pareil longuement exhala ;
Le rayon de soleil qui glissa sur ta main
Berceuse de la rose où dormait une abeille,
Et les bourgeons naissant sur les légères treilles,
Et le cri de ce paon affolé par les chiens ;...
Tout est là : un matin semblable à ces matins...
Tu venais ; ton front nu se voilait de l’ombrelle,
Et doucement, dans le jardin, tu descendais.
Sur un arbre naissait quelque branche nouvelle ;
Tu t’arrêtais, la contemplant, puis tu disais :
"Mon enfant, il faut être bon, sage, pieux ;
Il faut aimer Celui qui fit notre vie telle
Et croire en le Bonheur comme l’on croit en Dieu..."
Tu crus en Dieu : Quand l’heure vint de ta soffrance,
Sous la langue de feu qui minait sur ton cher corps,
Tu l’entrevis, dernière et suprême espérance,
Comme un phare puissant qui guide vers le port ;
Et, le front incliné, comme une fleur se penche
Sur le bord de la coupe où brisa le sort,
Vers Celui dont le nom brûlait ta lèvre blanche
Tu partis, mutilée et belle dans ta mort
O Mère ! Tu disais : " Puise cette douleur,
A mes enfants que j’aime éviter de souffrir !"
Et tu offris ton mal, comme on offre une fleur,
A celui qui voit tout et le voyait mourir...
Maintenant, je viens là, ainsi que je venais ;
Je n’ai pas, comme toi, la Foi qui réconforte,
Le mal d’être tout seul, tout seul, je le supporte,
Je crois que rien ne sort d’une tombe fermée.
Je viens ; Kim, le bon chien, rêve au soleil ;
Kima, entre ses pieds, a reposé sa tête ;
Ce coin te fut paisible, et sur ces douces bêtes
Tu promenas ta main par un matin pareil.
Ils sont là ; autour d’eux la nature sommeille,
Sur la terre et les fleurs flottent quelques vapeurs,
Le parfum d’un lilas, le bourdon d’une abeille...
Le grand jardin est triste et doux, comme ton coeur...
Ma Mère, tu n’es plus et la vie recommence :
Voici qu’autour de moi, ainsi qu’aux jours passées,
La sève du printemps met sur les vieilles branches
Les bourgeons qui seront des branches cet été.
Voici qu’auprés de moi, continuant la nôtre-
La vie, la claire vie de mon enfant aimé,
De ton petit-fils George, emplit toute l’allée,
Bouton qui sera fleur quand pâliront les autres...
Tout est bien fait : il faut des larmes aux sourires,
Il faut de la rosée aux fleurs qui vont s’ouvrir ;
Et, des bouches crispées et des coeurs en délire,
Il faut des mots d’espoir pour ceux qui vont mourir....
Il faut...Auprés de moi souffre mon pauvre père
L’éternelle douleur de ceux qui ne voient plus
Sur le chemin les pas de celle qui fut chère
Et qu’ils savent, Là-bas, à jamais disparue.
Il te dira qu’il reste, en l’âme qui se fausse,
Une corde tendue qui ne résonne point,
Mais dont, un jour, pourra s’échapper une note
Comme d’un violon endormi dans un coin...
Il te dira...Mais moi, qui ne sais pas tant dire,
Je viendrai au jardin comme tu dus venir ;
Auprés de nous, ton petit-fils, dans un sourire,
Caressera les fleurs que tu voulais cueillir.
Il saura - les enfants connaissent tant de choses-
Que ta vie est en moi et la mienne en lui ;
Et dans son coeur, serein comme le coeur des roses,
Ton clair amour semé germera dans la nuit...
— Et quelque jour, sur la terrasse où tu rêvas,
Sa mère le tenant par la main, attentive,
Je lui dirai : "Ainsi ma mère me parla..."
Je lui dirai...Et l’enfant saura qu’il peut partir,
Car, sans songer à lui donner une autre égide,
Comme on trempe le fer afin qu’il soit rigide,
J’aurais trempé sa Vie Nouvelle au Souvenir.
Mère !... Ceux qui verront en tête de ce livre
Ton nom, que je voudrais ainsi rendre immortel,
Ne sauront pas, bien que je dise qu’il fut tel,
Quel souvenir ici ma jeunesse leur livre.
Nous deux, nous deux tout seuls, sans doute, en cet instant
Où ton âme de mère en mon âme d’enfant
Poursuit sa vie, ainsi qu’en mon coeur qui s’agite
Et rien qu’à ta pensée encor bat plus vite.
Ce sang qui fait ma force et qui reste ton sang ;
Nous deux tout seuls savons, en cet instant sublime,
Où la communion est si parfaite en nous,
Que la dame à la faulx qui passe et qui décime,
Contre ce souvenir impalpable et trés doux
Usera son tranchant comme une lime...
Nous savons...Tous ces vers de ma jeunesse folle,
Ces premiers vers d’amour et ces vers de douleur,
Je venais quelquefois, incliné sur ton coeur,
Comme l’oiseau blessé qui vers le nid revole,
Les confier à ton indulgence de soeur...
Je venais, tu prenais mon front entre tes mains.
Et ton âme, attentive à consoler ma peine,
Etait comme une fleur gonflée et toujours pleine
De rosée et miel...
-Ainsi quelque matin,
Vous vîtes votre mère apaisante et sereine,
Doux poètes auxquels ma pensée me ramène,
Verlaine, Rodenbach, Samain, Charles Guérin...
Ces vers que tu savais, aujourd’hui je les offre :
Ils sont là, je voudrais qu’en eût vécu ton Nom,
Afin que du laurier attaché à mon front
La clarté sur ton front rejaillisse et se pose...
Je ne sais point...Il semble à mon âme en délire
Qu’est-ce j’écrirai ne s’effacera pas.
Est-ce l’orgueil qui met cette force en mon bras,
Est-ce l’amour ou la pitié ? Je ne puis dire,
Mais ce que je sais bien - et tandis que que ces lignes
Des rouilles de l’oubli pourront un jour tenir-
C’est que ce livre encor te garde de mourir,
Et que j’apporte en lui, bien que peut-être indigne,
Le bouquet que tes mains ne purent pas cueilli !...
Je t’apporte ces vers - comme on offre des roses-
Non sur le mausolée éternel et fermé,
Mais dans la chambre heureuse où les persiennes closes
Mettent une ombre autour des objets reposés.
Je t’apporte ces vers, c’est la Pâques des Roses,
Toutes ces belles fleurs que ta main caressa,
Les pivoines de pourpre et les mauves lilas,
Dans la chambre embaumée où seule tu reposes,
Tout le jardin d’amour je l’apporteen mes bras...
1907,
le jour de la Pentcôte